Cartello, 47

Le comique dans le transfert

06/11/2025
Thomas Palvadeau

La clinique sous transfert confronte régulièrement l’analyste à des manifestations inattendues du sujet, dont certaines prennent la forme du comique. Si l’humour et le rire ont trouvé leur place dans l’élaboration freudienne comme dans la pensée lacanienne, leur émergence au sein du transfert invite à interroger leur statut et leur fonction. 

Une drôle de scénette

Dès les premières consultations, Léo guette mon arrivée. Après quelques semaines, il inaugure une scène itérative : à peine m’aperçoit-il qu’il raidit son corps, l’allonge et ferme les yeux, feignant le sommeil, voire la mort. Puis, il fait mine de se réveiller en sursaut en criant : « Bouh ! ». 

La première fois, ma surprise est réelle et l’enfant en est comme suspendu. Je surjoue alors ma réaction, pour tenter de déplacer sa perplexité vers le semblant qu’introduit la pantomime. Dans cet instant de trouble, il rit tout en guettant si sa mère qui est assise à ses côtés rit aussi. En miroir de mon rire, elle finit par rire. C’est à ce moment que l’enfant s’apaise : son rire exalté – indice de la charge de jouissance face à la chute du masque du professionnel dans cette seconde de surprise – se calme. Il se lève alors de lui-même et me suit pour aller dans le bureau où a lieu sa séance. 

Cette scénette relève-t-elle de la dimension comique ? 

Nicole Borie évoque le lien entre le drôle et l’inquiétant, dont le cas de cet enfant témoigne nettement avec l’exaltation de son rire. Elle écrit que « l’enfant le sait et s’emploie à faire de la peur une excitation exquise1 ». Le comique, ici, garde une trace de l’inquiétante étrangeté freudienne : derrière le rire exalté, pointe l’angoisse. 

La fonction du tiers

La lecture d’un passage dans le Séminaire IV, à propos du tiers dans le comique, m’a éclairé sur ce qui s’est joué dans cette scène. Lacan nous dit que « le comique se contente d’un rapport duel, [qu’il] peut être déclenché simplement entre deux personnes2 » et que « nous voyons essentiellement que la perspective de la troisième personne, si elle reste virtuelle, est toujours plus ou moins impliquée.3 » Mais sur le plan clinique, il apparaît que l’accès au tiers symbolique pour cet enfant, telle que l’opère la médiation du Nom-du-Père, semblait entravé et qu’il était donc confronté à la pulsion sur le mode autoérotique.

Dans un premier temps, cet enfant incarne le réel de la disparition puis avec la jaculation de ce « bouh » – trognon de parole – il vient surprendre l’Autre. Ma réponse en acte, sous forme de pantomime, décomplète la figure de l’Autre. Si la scénette a pris une tournure comique, c’est du fait de cette introduction d’un tiers nécessaire entre l’enfant et sa mère via la pantomime, pour faire passer le rire de ce qui relevait d’une expression directe de la pulsion à ce qui relève davantage du jeu, du semblant, en l’introduisant dans un lien à l’Autre et en écartant l’enfant du tranchant ironique de ce qu’il incarnait. 

Le comique comme singularité

Cette vignette clinique souligne que l’effet comique n’existe qu’à la condition que l’Autre en accuse réception, par son propre rire. À défaut, le comique n’émerge pas. Bien qu’on ne rie pas tous de la même chose – et qu’un rire ne soit jamais tout à fait un rire – chacun doit y mettre sa mise.

Au sein du transfert, le comique ne peut être réduit à une anecdote ni à un artifice. Il opère une mise en forme qui, par la répétition et le jeu du semblant, permet de soutenir l’enfant face au réel de l’angoisse. Le comique apparaît alors comme ce point de retournement où le réel de l’effroi trouve à se border par le semblant du jeu partagé, comme vecteur d’un travail analytique qui ouvre à une singularité.


1 Borie N., « Drôle de comique », Blog des J55, 25 mai 2025, disponible en ligne.

2 Lacan J., Le Séminaire, Livre IV, La Relation d’objet, Texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p. 242.

3 Ibid., p. 243.