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Éditorial
« Faites comme moi, ne m’imitez pas » – France JaiguL’orientation Lacanienne
D’où vient le champ freudien ? – Jacques-Alain MillerHéritages
À la cantonade – Christiane Alberti
La présentation – Jean-Daniel Matet
Le cas clinique – Carole Dewambrechies-La Sagna
L’impossible à enseigner – Isabelle Buillit
Sur fond d’impossible – Jérôme Lecaux
Le legs d’une expérience – Léa Caron De Fromentel
Un certain épuisement est nécessaire – Daniel Roy
Ce qui se transmet dans la langue – Gabrielle Vivier-Amici
Génération(s) – Michel Grollier
Relire la « Note sur l’enfant » – Yves Vanderveken
De quelques « bizarreries » freudiennes – Philippe De GeorgesClinique
Le vrai, le faux et le réel – Sonia Chiriaco
« S’enrouler dans les mots » – Françoise Haccoun
Dire autrement – Soledad Peñafiel
Le ton de la voix – Patrick Almeida
Le choix du silence – Nicole Borie
De l’immonde au monde – Rose-Paule VinciguerraÉtats de la psychanalyse
La Théorie de Turin, une interprétation qui cause le désir d’ÉcoleL’entretien
Traduire FreudSur la passe
Une séparation douloureuse – Carolina KoretzkyBibliothèque
Thinking With Your Eyes
Moon Museum – Gérard Wajcman -
« Faites comme moi, ne m’imitez pas »
Le 12 juillet 1980, Lacan est à Caracas. Six mois après la Dissolution et à la veille de lancer ce qu’il nomme sa Cause freudienne, il s’adresse à ses lecteurs, ceux-là qui, depuis toute l’Amérique latine, sont venus, à son invitation, le rencontrer : « C’est à vous d’être lacaniens, si vous voulez. Moi, je suis freudien 1 Lacan J., « La conférence de Caracas », Aux Confins du Séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, 2021, p. 82 », déclare-t-il. Ce jour-là, Lacan estime en effet « bienvenu » de dire à ce nouvel auditoire « quelques mots du débat [qu’il soutient] avec Freud, et pas d’aujourd’hui » 2 Ibid..
À la fin de sa vie, c’est donc au père de la psychanalyse que Lacan se réfère : « dès le départ », tout ce qu’il a écrit, disait-il à Pierre Daix en 1966, « est entièrement déterminé par l’œuvre de Freud » 3Daix P., « Entretien avec Jacques Lacan », Bulletin de l’Association freudienne, no 23, juin 1987, p. 3. . Une façon, certes, de rappeler son fameux « retour à Freud ». Ce retour, pourtant, n’avait rien de religieux : dès le départ – et c’est ce que Lacan souligne à Caracas –, il prenait la forme d’un « débat » avec celui qui était « incompris, fût-ce de lui-même 4 Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 40 ». Car Lacan n’était prisonnier d’aucune « saga », pas même de celle du père 5À l’instar du Shakespeare de Hamlet – dont Lacan fait une lecture magistrale dans le Séminaire VI. Tout jeune déjà, il manifestait le désir de tracer une voie hors des sentiers battus et déclarait, dans une lettre, détester « la “tradi” rétrograde 6Lacan J., « Lettre de Jacques Lacan à son père, 1918 », Lacan Redivivus, Ornicar ?, hors-série, Paris, Navarin, 2021, p. 154.».
Tout prédisposait donc Lacan à dénoncer la cohorte de fidèles, ceux-là même qui prétendaient hériter du père, mais qui avaient « eu tendance à substituer à l’appareil scientifique monté par Freud, l’appareil philosophique antérieur 7 Daix P., « Entretien avec Jacques Lacan », op. cit., p. ». Les gardiens de l’orthodoxie freudienne avaient en somme réussi cet exploit d’annuler Freud et d’en revenir – en rétrogrades – « à l’ancien rapport sujet-objet 8Ibid. ». Lacan, en revanche, est « celui qui a lu Freud 9 Ibid., p. 3. », celui qui a saisi « la logique dans son œuvre » et qui l’a exprimée « par lettres et symboles, avec une rigueur comparable aux expressions de la nouvelle logique mathématique » 10Ibid. .
Ainsi l’attention de Lacan portée au texte révèle son attachement à une autre tradition. Non pas celle du « tradi rétrograde », mais celle qui le lie au signifiant, à rebours du sens, toujours religieux. C’est cette fidélité à sa cause, la cause freudienne, qui a fait de lui un authentique traducteur de Freud et qui a donné à son enseignement un style et une énonciation à nul autre pareils.
« Faites comme moi, ne m’imitez pas » Telle serait, selon Jacques-Alain Miller, la leçon de Lacan : « Justement parce qu’il se sentait avoir en charge le discours de la psychanalyse, il faisait tout pour déjouer, déconcerter 11 Miller J.-A., « D’où vient le Champ freudien ? », La Cause du désir, no 120, septembre 2025, p. 15. ». C’est dire combien Lacan a illustré pour nous la phrase de Goethe citée par Freud dans Totem et tabou : « Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséder. 12Freud S., Totem et Tabou, Paris, Points, 2010, p. 291-292. » La psychanalyse, en effet, ne se transmet pas au sens d’un héritage qui passerait de main en main. Chacun des auteurs de ce numéro le sait et a tenté de revenir sur les conditions d’une transmission possible du discours analytique, celui que Lacan a inventé à partir de Freud.France Jaigu est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne
- 1Lacan J., « La conférence de Caracas », Aux Confins du Séminaire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Navarin, 2021, p. 82
- 2Ibid.
- 3Daix P., « Entretien avec Jacques Lacan », Bulletin de l’Association freudienne, no 23, juin 1987, p. 3.
- 4Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 40
- 5À l’instar du Shakespeare de Hamlet – dont Lacan fait une lecture magistrale dans le Séminaire VI
- 6Lacan J., « Lettre de Jacques Lacan à son père, 1918 », Lacan Redivivus, Ornicar ?, hors-série, Paris, Navarin, 2021, p. 154.
- 7Daix P., « Entretien avec Jacques Lacan », op. cit., p.
- 8Ibid.
- 9Ibid., p. 3.
- 10Ibid.
- 11Miller J.-A., « D’où vient le Champ freudien ? », La Cause du désir, no 120, septembre 2025, p. 15.
- 12Freud S., Totem et Tabou, Paris, Points, 2010, p. 291-292.