
Le collectif Théâtre et Psychanalyse et l’Envers de Paris vous convient à une rencontre avec Eric Feldman, auteur et interprète, et Philippe Benichou, psychanalyste membre de l’ECF.
Cette soirée est organisée autour de la pièce « On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie ». Le débat sera animé par Eva Carrère Naranjo, psychanalyste membre de l’Envers de Paris.
Argument
Dans une forme très singulière de stand-up qu’il profère assis, Éric Feldman nous invite à renouveler l’écoute de certains signifiants qu’il s’attache à faire résonner. Il les répète d’abord beaucoup, frôlant le bégaiement, comme pour mieux les cisailler, les taillader, en extraire le « trop » dont il sait que certains mots sont porteurs. Cette opération évoque celle du poète roumain Ghérasim Luca, qui pratique dans ses poésies des itérations de la langue afin de « répudier les mots et la syntaxe qui, pour lui, ont structuré un inconscient […] coupable des plus innommables atrocités [1]».
Mais ici, la découpe ou au contraire les rapprochements inattendus de signifiants, créent la surprise et un effet comique indéniable. C’est sur le terrain du witz qu’il se lance résolument, dans un coup de force où il s’agit d’arracher le « witz » au « Ausch ». Mais, la manœuvre sur la langue ne s’arrête pas là. Lorsqu’il parvient à alléger le signifiant du sens, il nous replace face à la lourdeur du réel : « Le camp est semblable à une bombe nucléaire qui disperse ses retombées radioactives en des lieux éloignés, même après l’explosion [2] ». La tentation du suicide, le non-désir d’enfant que ses oncles et lui-même partagent, apparaissent comme des manifestations de ces retombées radioactives qui rendent impérative de se protéger de la perte : « On ne pourra pas m’enlever les enfants que je n’ai pas eus » nous dit-il.
Le comique est un trait familial dont ses oncles, enfants juifs ayant échappé à la déportation, étaient porteurs. « Lucien malgré la merde (ou peut-être à cause de la merde ou grâce à la merde) il pouvait être très drôle. » Cette drôlerie réside dans un certain maniement du signifiant qui permet de dire tout et son contraire :
– « Shlomo mon ami, comment vas-tu ? En un mot ?
– Bien
– Et en deux mots ?
– Pas bien [3] ».
On pourrait en dire autant de lui qui, parvient avec beaucoup d’inventivité, à faire du rire « avec du pire [4]» comme le dit Jacques-Alain Miller, en se servant du terreau des traumas familiaux.
Mais son usage du comique n’est pas simple rigolade, il ouvre à une question éthique qui traverse son spectacle et autour de laquelle il mène son « enquête » : que fait-on de cette part obscure, de cette altérité – il pourrait dire de cette « jouissance Autre » – qu’il y a en soi ? Il témoigne que l’expérience de la psychanalyse lui a permis de s’en rendre responsable : « La psychanalyse, ça peut apprendre ça, …, y’a de l’autre… et déjà de l’autre en soi, de l’étranger. De l’impur, n’en déplaise à certain [5]». Il semble saisir très bien ce que nous indique Anaëlle Lebovits-Quenehen que la « haine exprime un rapport de soi à l’Altérité qui habite en chacun de nous [6] ». Et à travers cette fantaisie qui lui fait imaginer ce qui serait advenu si Hitler avait rencontré Freud, il interroge le Mal absolu, l’origine de la haine : « Hitler […] voilà quelqu’un qui n’avait pas accès à l’autre en lui… pas de place pour de l’autre… ou alors s’il y a de l’autre, de l’étranger… il est en trop ! [7] » Il considère très justement qu’à ne pas vouloir la reconnaître en soi, elle est dénoncée, localisée dans l’Autre, comme le veut la logique du racisme.
Il nous fait aussi entendre combien face à la haine et pour son traitement, les méthodes de développement personnel se montrent vaines. Avec ironie, il pointe la vacuité des discours qui prônent la positivité, se servent des mots à la légère, sans tenir compte de la force destructrice que charrient parfois certains signifiants. Et que seul le travail de l’analyse permet de désamorcer.
Le vecteur Théâtre et psychanalyse vous invite à une discussion entre Éric Feldman et Philippe Benichou, qui aura lieu à l’issue de sa pièce le 19 octobre prochain à 15h, au théâtre du Petit Saint-Martin.
[1] Velter A., Préface à Héros-Limite de Ghérasim Luca, Paris, Gallimard, 2001, p. V.
[2] Feldman É., « On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie », 2025, inédit.
[3] Ibid.
[4] Miller J.-A., « Remarque sur la traversée du transfert » (1991), Comment finissent les analyses. Paradoxes de la passe, Paris, Navarin, 2022, p. 128.
[5] Feldman É., « On ne jouait pas à la pétanque… », op. cit.
[6] Lebovits-Quenehen A., Actualité de la haine. Une perspective psychanalytique, Paris, Navarin, 2020, p. 94.
[7] Feldman É., « On ne jouait pas à la pétanque… », op. cit.