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L’oubli

Collectif, La Cause du désir, n°119
Références
La Cause du désir, n°119
L’oubli
Collectif
Éditeur
Navarin éditeur
Pages
192
Année
2025
prix
16 €
France Jaigu
  • Éditorial
    Le manque d’oubli France Jaigu

    L’orientation Lacanienne
    Des choses de finesse Jacques-Alain Miller

    L’oubli
    L’ombilic des jours – Véronique Pannetier
    Quand « oublier » est au profit de sa propre cause – Pamela King
    Du trou de mémoire au trou dans le savoir – Hélène de La Bouillerie
    Ce qui reste oublié ou la logique du dire – Rodolphe Adam
    De l’oubli du nom au surgissement d’un dire – Virginie Leblanc-Roïc
    La certitude et l’oubli – Marie Laurent
    Petit oubli et grand concept – Agnès Aflalo
    Une mémoire sans oubli ? – Guillermina Laferrara
    Oublié l’oubli – Camille Gérard
    D’abîme en abysses – Deborah Gutermann-Jacquet

    Clinique
    L’oubliée – Cécile Wojnarowski
    L’oubli comme symptôme – Hélène Guilbaud
    Paroles d’amour – Sophie Lac
    « Perte de mémoire » – Dominique Pasco
    Entre deux – Laura Vigué
    Amnésie infantile – Thierry Jacquemin

    États de la psychanalyse
     La raison de « l’homme quelconque » – Lorenzo Speroni

    L’entretien
    L’oubli à la trace – Hélène Bonnaud

    Sur la passe
    Suquetdepeix – Neus Carbonell

    Bibliothèque

    Thinking With Your Eyes
    Méditation sur le sommeil – Pierre Sidon

  • Le manque d’oubli

     

    Si « Tout homme a bien éprouvé en lui-même ou observé chez d’autres, le phénomène de l’oubli 1Freud S., « Sur le mécanisme psychique de l’oubli », Résultats, idées, problèmes, t. I, Paris, PUF, 1984, p. 99. », ce « raté de mémoire 2Ibid., p. 107. » revêt cependant, pour celui qui en fait l’expérience, une signification à chaque fois singulière. Il est en « liaison intime avec des suites d’idées, qui se trouvent chez [lui] en état de refoulement 3Ibid., p. 103. ». Dès 1898, s’attelant à reconstituer le mécanisme psychique à l’œuvre dans son oubli du nom de Signorelli – qui lui est pourtant si familier –, Freud élèvera ainsi ce qui est communément accepté comme une défaillance banale à la dignité d’une formation de l’inconscient, au même titre que le rêve, le lapsus ou l’acte manqué.

    « Ce que, en l’homme, nous appelons l’inconscient », dira Lacan, c’est donc « la mémoire de ce qu’il oublie ». En oubliant, l’homme chasse de sa pensée « la puanteur, la corruption toujours ouverte comme un abîme » (car la vie, assène Lacan, « c’est la pourriture ») 4Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 272.. Dormant sur ses deux oreilles, la tête posée sur le « mol oreiller » de l’oubli, il reste sourd à ce qui a fait trébucher sa parole, au dire, qui, du côté du réel, reste toujours oublié derrière le dit.

    Ainsi l’oubli fait-il entendre, par-delà cette disjonction fondamentale, la « faille » qui, au cœur du sujet, « le met à distance de lui-même 5Miller J.-A., « Des choses de finesse », La Cause du désir, no 119, mai 2025, p. 11. ». Le sujet de la psychanalyse est celui qui se loge au lieu du « il ne savait pas qui est proprement le signe de cette omission fondamentale où [il] vient se situer 6Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, op. cit.,p. 277. ». Car, nous dit Lacan, « Ce qu’un sujet représente originellement n’est pas autre chose que ceci – il peut oublier. Supprimez ce il – le sujet est littéralement, à son origine, et comme tel, l’élision d’un signifiant, le signifiant sauté dans la chaîne 7Ibid., p. 264. ».

    C’est dire combien ce « qui se rappelle à nous dans les formations de l’inconscient 8Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 58. » relève de ce manque à être qui afflige le sujet. Et ce manque à être, nous dit Lacan, nous pourrions l’appeler « manque d’oubli » : « Le manque d’oubli est la même chose que le manque à être, car être, ce n’est rien d’autre que d’oublier. 9Ibid. » Aimer la vérité, comme aimer la psychanalyse, c’est reconnaître ce manque qui empêche l’homme de « coïncider avec lui-même 10Miller J.-A., « Des choses de finesse », op. cit., p. 12. ».

    Précieux rappel donc auquel nous convoque l’oubli en notre époque où le « mirage de l’identité 11Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2023, p. 86. » et d’un « être plein 12Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, op. cit., p. 58. » « triomphe sur la scène du monde 13Miller J.-A., « Des choses de finesse », op. cit., p. 11. ». Il vaut pour le psychanalyste aussi bien, dont l’acte ne saurait procéder du désir d’être psychanalyste. Jacques-Alain Miller met en garde ceux qui « ne songent plus à ce qui les a fondés comme analystes ». Il y a, dans la règle, poursuit-il, « oubli de l’acte dont ils sont issus. […] Une fois établis, ils tiennent l’inconscient comme un fait de semblant. L’élaboration de l’inconscient ne leur paraît pas un critère suffisant pour être analyste 14Ibid., p. 14. ».

    France Jaigu est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne

  • 1
    Freud S., « Sur le mécanisme psychique de l’oubli », Résultats, idées, problèmes, t. I, Paris, PUF, 1984, p. 99.
  • 2
    Ibid., p. 107.
  • 3
    Ibid., p. 103.
  • 4
    Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1986, p. 272.
  • 5
    Miller J.-A., « Des choses de finesse », La Cause du désir, no 119, mai 2025, p. 11.
  • 6
    Lacan J., Le Séminaire, livre VII, L’Éthique de la psychanalyse, op. cit.,p. 277.
  • 7
    Ibid., p. 264.
  • 8
    Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1991, p. 58.
  • 9
    Ibid.
  • 10
    Miller J.-A., « Des choses de finesse », op. cit., p. 12.
  • 11
    Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2023, p. 86.
  • 12
    Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, op. cit., p. 58.
  • 13
    Miller J.-A., « Des choses de finesse », op. cit., p. 11.
  • 14
    Ibid., p. 14.