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Descartes, la métaphysique et l’infini

une lecture d'Anaëlle Lebovits-Quenehen

Dan Arbib
Références
Descartes, la métaphysique et l’infini
Dan Arbib
Éditeur, ville

PUF

Pages

368

Année

2017

09/06/2025
Anaëlle Lebovits-Quenehen
  • Le livre de Dan Arbib1Arbib D., Descartes, la métaphysique et l’infini, PUF, coll. « Épiméthée », Paris, 2017, 368 p., 32€. est une porte d’entrée de choix dans l’univers cartésien auquel Lacan fait référence à de nombreuses reprises. Dan Arbib nous y prend par la main pour nous en faire pénétrer la complexité et le génie, non sans révéler les paradoxes que Descartes affronte dans sa considération du caractère infini de Dieu et ses incidences sur la connaissance. Dans une langue tenue et limpide, Dan Arbib nous fait ainsi entrer dans la philosophie cartésienne. Car c’est par là que Descartes tout à la fois s’inscrit dans une tradition philosophique qui le précède (allant de Thomas d’Aquin à Suarez en passant par Duns Scot, Montaigne, Bonaventure, Henri de Gand, Bérulle) et ouvre aux pensées à venir de Heidegger et Levinas, entre autres. Nous l’y suivons à vive cadence, mais soutenus dans notre effort par la clarté et la distinction d’un propos aussi original que convaincant, et qui offre au lecteur une enquête mobilisant toutes les ressources de la métaphysique.

    La rigueur intellectuelle qui lui donne forme ainsi que l’immense culture philosophique que son auteur mobilise nous engagent dans une pensée en action sur la pensée cartésienne en action. Dan Arbib y fait miroiter les facettes de problèmes traditionnels en les appréhendant de façon inédite. Mais il nous ouvre aussi à des problèmes que lui seul a découverts et grâce auxquels cette percée dans l’univers métaphysique de Descartes tout autant qu’il nous y introduit, en renouvelle l’abord.

    Nous retiendrons la façon dont il appréhende le rapport entre les deux preuves de l’existence de Dieu dans Les Méditations métaphysiques dont les paradoxes qu’elles recèlent nous mènent tambour battant, tout au long du livre, à l’exploration d’une série d’apories. Si le cartésianisme est une philosophie de la clarté et de la distinction, il n’en demeure pas moins que ces deux preuves de l’existence de Dieu soulèvent des questions que Dan Arbib éclaire avec une grande précision et un sens spéculatif aigu. Il montre magistralement que l’infinité divine est travaillée par une ambiguïté qui tient à sa nature même : Dieu est métaphysiquement déterminé comme ens infinitum en même temps qu’il surgit depuis un au-delà de toute métaphysique possible comme ce qui excède, par principe, toute représentation.

    Si l’enjeu est immense, c’est que l’infinité divine est ce sur quoi le cogito repose logiquement et, avec lui, toute connaissance rationnelle possible. L’infinité divine, pour être au principe du cogito et le fonder en raison, est tout aussi bien fondée par lui, puisque la preuve de l’existence de Dieu (Méditation III) exige la position de l’ego (Meditation II). Ainsi l’infinité est à la fois fondement et fondée, et fondée par cela même qu’elle fonde. Dan Arbib exhibe ici un paradoxe qui n’est pas sans évoquer le désir incessant de Lacan, tentant de déterminer les rapports des trois ordres, apparemment hétérogènes, que sont le réel, le symbolique et l’imaginaire. Comme l’infini par rapport à la rationalité chez Descartes, le réel fait trou dans le symbolique (et l’imaginaire), en même temps qu’il les appelle à entrer en fonction dans la mesure où ces deux derniers ordres, tout à la fois témoignent du réel et le traitent. De même que le réel excède, et se dérobe ainsi, à ce que le symbolique et l’imaginaire peuvent lui donner de forme, de même, l’infini se dérobe à la rationalité en même temps qu’elle doit s’y intégrer pour en conquérir le fondement.

    Cette étude, aussi érudite qu’originale dans l’abord de l’infini chez Descartes, est une porte d’entrée extraordinaire,tant dans la philosophie cartésienne que dans la métaphysique. Les lecteurs de Lacan y trouveront matière à quelque lumière et à une grande joie.

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    Arbib D., Descartes, la métaphysique et l’infini, PUF, coll. « Épiméthée », Paris, 2017, 368 p., 32€.