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Hystoires

Collectif , La Cause du désir, n°113
Références
La Cause du désir, n°113
Hystoires
Collectif
Éditeur
Navarin éditeur
Pages
226
Année
2023
prix
13 €
  • Éditorial
    L’histoire est-elle un rêve? – Laura Sokolowsky

    Présentation clinique du Docteur Lacan
    Présentation de M. Girard – Jacques Lacan

    Hystoires
    Une femme qu’a un corps – Philippe La Sagna
    L’antisémitisme, lecture d’une petite différence – Stéphanie Lavigne
    L’érotique lacanienne de l’art – Yves Depelsenaire
    L’obsessionnel, le pervers et la protestation du désir – Gil Caroz

    Exposés et contrôles cliniques
    avec Jacques-Alain Miller & alii
    Ouverture « Pathogenèse » d’un sinthome – Natalie Wülfing
    Un lamed vavnik – Rik Loose
    Collage – Anne Béraud

    Sur la Passe
    À propos du débat sur la passe – Jérôme Lecaux
    Jacques-Alain Miller
    Du jury au Collège en passant par l’extime – Philippe La Sagna
    L’enthousiasme du risque – Éric Laurent
    Les effets de la passe deux fois – Bénédicte Jullien
    La passe : témoignage d’une aberration – Catherine Lazarus-Matet

    Des Sylphes aux Cimes
    Sur terre – Luc Garcia
    Classer la dépression dans la psychanalyse – Éric Laurent

    Singularités
    La malapersonaClaude Quenardel
    « Être militaire dans ma tête » – Célia Breton
    Le triomphe de l’amour – Fatiha Belghomari
    Vacillation du sentiment de la féminité – Marie-Claude Sureau

    Du côté du collège de France
    Une rencontre – Véronique Eydoux
    Le temps est une entaille – entretien avec Patrick Boucheron

    Science et Vérité
    La fonction des incorporels dans l’histoire de la logique – Karim Bordeau

    Poétique
    « J’ai tout pour faire une belle histoire » – Marie-Christine Bruyère

    De pictura
    La nature morte, c’est la vie! Interview de Gérard Wajcman – par Armelle Gaydon

                      

  • L’histoire est-elle un rêve ?

    Dans le Séminaire XXIII consacré au sinthome, Lacan relève que Joyce avait le plus grand mépris de l’histoire. Dans son roman Ulysse, ce dernier fit dire à son personnage Stephen que l’histoire est un cauchemar dont il essaye de s’éveiller1 Cf. Joyce J., Ulysse, (traduction & édition s/dir. de J. Aubert), Paris, Gallimard, 2013, p. 92. Joyce se serait inspiré d’un aphorisme de Jules Laforgue, cf. ibid., note 59, p. 1307. . L’histoire lâche « sur nous les grands mots dont [Joyce] souligne qu’ils nous font tant de mal2Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p. 125. », précise Lacan.

    L’écrivain irlandais ne visait pas seulement à s’affranchir de la domination de la British History, mais de l’histoire faite de mots qui traumatisent. Sa solution originale pour s’éveiller du cauchemar fut d’écrire ce rêve qu’est Finnegans Wake, à la différence près que le rêveur n’y occupe pas la place d’un personnage particulier car « il est le rêve même3Ibid. ».

    Il s’agit, et c’est en cela que l’histoire est une question pour la psychanalyse, du sens donné à des faits de discours. Les grands mots de l’histoire sont des signifiants-maîtres, des S1, identifiant les parlêtres au discours. Il arrive parfois qu’un grand mot surgisse du passé, ce qui incite à concevoir l’histoire sous la forme d’une répétition, de cycles, de tristes leçons qui n’ont servi à rien pour les générations suivantes. Plus jamais ça, et ça recommence. Cela ne peut que recommencer, puisqu’il s’agit d’un mauvais rêve.

    Lacan a désigné « éclair de lucidité4Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 11 février 1975, inédit. » le bref instant de la sortie du sommeil, entre sommeil et réveil. Ce n’est qu’un éclair, c’est-à-dire que cette lucidité ne dure pas : « Je rentre comme tout le monde dans ce rêve qu’on appelle la réalité, à savoir dans les discours dont je fais partie5Ibid. ». Lacan ne s’exempte pas du rêve, il ne prétend pas qu’il soit possible de se réveiller pour de bon, car il n’y a pas d’autre réalité que celle du discours. Jacques-Alain Miller souligne ainsi qu’au réveil de tous les matins, « le sujet de rêves redevient sujet des discours divers qui le déterminent6Miller J.-A., « Réveil », Ornicar?, no 20-21, 1980, p. 52. Republié en ouverture du volume Scilicet, Le Rêve. Son interprétation, son usage dans la cure lacanienne, Paris, École de la Cause freudienne, coll. Rue Huysmans, 2020, p. 14. ». Que tout le monde rêve tout le temps signifie que tout le monde délire7Cf. ibid., p. 15. .

    Ce numéro de La Cause du désir met à l’honneur un autre signifiant. En mai 1976, Lacan fait valoir que la profession de psychanalyste, laquelle fut inventée par Freud en écoutant les hystériques blablater, est une nouvelle venue dans l’hystoire « que nous ne disons pas éternelle parce que son aetas n’est sérieux qu’à se rapporter au nombre réel, c’est-à-dire au sériel de la limite8Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 572. ». Le temps dont il s’agit dans l’hystoire se mesure, il ne s’agit pas de la présence éternellement conservée dans l’Idée9Cf. Hegel G.W. F., La Raison dans l’Histoire (1822-1830), Paris, Pocket, 2012, p. 241-242. de la Raison psychanalytique qui n’existait pas avant Freud. Il aura fallu que Lacan la refonde, en ajoutant ce qu’il appelle pudiquement son « grain de sel10Lacan J., « Préface à l’édition anglaise… », op. cit., p. 571. », par l’introduction de la procédure de la passe destinée à soumettre cette nouvelle profession à l’épreuve de l’hystorisation11Cf. ibid., p. 573. de l’analyse elle-même.

    L’hystoire de la psychanalyse est aussi celle des rencontres du docteur Lacan avec des patients lors de présentations cliniques à l’hôpital. Nous avons le plaisir d’offrir à nos lecteurs la transcription de l’une d’elle demeurée inédite jusqu’à ce jour. Il y est question d’un parlêtre dont l’envie de changer de sexe est manifeste, ce qui n’est pas sans résonner de façon saisissante avec les questions théoriques et cliniques les plus actuelles de notre orientation. Nos remerciements vont à J.-A. Miller pour en avoir autorisé la publication dans la revue de l’École de la Cause freudienne.

    C’est encore l’hystoire de la psychanalyse que notre dossier central interroge à travers quatre études qui, chacune à leur façon, se rapportent au nouage du corps, du signifiant et de la pulsion.

    Le savoir psychanalytique progresse par interprétation et réduction logique. La remarquable séquence d’exposés et de contrôles cliniques avec J.-A. Miller lors du dernier congrès de la New Lacanian School (NLS) à Lausanne, le 2 juillet 2022, atteste d’une telle avancée.

    Une conférence, devenue introuvable, d’Éric Laurent se rapporte à l’hystoire de la notion de dépression. Il y est question de la façon dont la mémoire avec ses trous pousse le vivant à la jouissance et de la souffrance générée, chez certains sujets qui rejettent l’inconscient, par le fait de devoir supporter ce vivant au-delà de l’organisme.

    Mais qu’en dit l’historien ? Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, s’est entretenu avec trois collègues psychanalystes et nous livre sa version inattendue de ce que peut l’histoire. Dans un ouvrage consacré aux vies posthumes du docteur de l’Église Ambroise de Milan (339-397), le grand médiéviste s’intéresse à la fabrication d’une identité politique, aux artifices de la mémoire ainsi qu’aux périodisations historiques. Cette conversation met en valeur que la chronologie est l’inverse du cours du temps et que l’histoire consiste, en vérité, à se séparer du passé, ce qui ne peut manquer de surprendre et d’intéresser les psychanalystes.

    C’est tout naturellement qu’une étude portant sur la logique s’impose et, plus précisément, la façon dont Lacan situe la coupure opérée par la logique stoïcienne dans le fil de son enseignement.

    L’hystoire ne s’appréhende pas non plus sans la mise en forme d’une fiction symptomatique. Quatre cas le démontrent avec rigueur : cette identification qu’est le moi ne permet pas de s’assurer d’une identité et l’hystoire d’un sujet s’avère susceptible de remaniements après coup, d’où la chance offerte par le discours analytique concernant les grands mots qui blessent.

    On découvrira également un article passionnant consacré à l’illustre Aby Warburg, historien de l’art qui souffrit d’un délire sous une forme aiguë. On lira avec intérêt ce que fut sa guérison infinie.

    Enfin, c’est par une interview de Gérard Wajcman à propos de son dernier ouvrage qu’on apprendra que l’histoire de la nature morte en peinture est une hystoire des corps vivants.

    Laura Sokolowsky

    P.-S. – Le portrait de Mona Tse-Tung a été réalisé en 1977 par l’artiste francopolonais Roman Cieslewicz. Reconnu comme l’un des plus grands graphistes du XXe siècle, il quitta son pays pour savoir si ses images résisteraient à la lumière des néons en Occident. L’association insolite de la Gioconda et du Grand Timonier provient bien entendu d’un Witz.

  • 1
    Cf. Joyce J., Ulysse, (traduction & édition s/dir. de J. Aubert), Paris, Gallimard, 2013, p. 92. Joyce se serait inspiré d’un aphorisme de Jules Laforgue, cf. ibid., note 59, p. 1307.
  • 2
    Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, p. 125.
  • 3
    Ibid.
  • 4
    Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 11 février 1975, inédit.
  • 5
    Ibid.
  • 6
    Miller J.-A., « Réveil », Ornicar?, no 20-21, 1980, p. 52. Republié en ouverture du volume Scilicet, Le Rêve. Son interprétation, son usage dans la cure lacanienne, Paris, École de la Cause freudienne, coll. Rue Huysmans, 2020, p. 14.
  • 7
    Cf. ibid., p. 15.
  • 8
    Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 572.
  • 9
    Cf. Hegel G.W. F., La Raison dans l’Histoire (1822-1830), Paris, Pocket, 2012, p. 241-242.
  • 10
    Lacan J., « Préface à l’édition anglaise… », op. cit., p. 571.
  • 11
    Cf. ibid., p. 573.