
Dans le cadre des Enseignements ouverts 2021-2022 de l’ECF, c’est un cartel d’enseignement qui dépliera la question des « Enjeux et connexions de la poliitique lacanienne 2021-2022. »
Cartel : Agnès Aflalo (plus-un), Agnès Bailly, Dominique Corpelet, Laurent Dumoulin, Laurent Dupont.
Politique lacanienne 2021-2022
Enjeux et connexions
par Agnès Aflalo
Nous proposons d’interroger une série de phénomènes qui font symptôme et participent du malaise dans le monde contemporain. Ainsi, par exemple, la course à la suprématie quantique. Elle commande dès aujourd’hui la révolution numérique de demain, alors que nous en mesurons assez peu les conséquences. L’Intelligence Artificielle en général et le Deep Learning en particulier seront profondément remaniés par l’arrivée de l’ordinateur quantique. Google annonçait le sien fin 2019 tandis que la France décidait un investissement de presque deux milliards dans le quantique en janvier 2021. Les Data Brokers feront-ils encore main basse sur ce nouveau Big Data ? Les nudges, qui font de nous des rats dans le labyrinthe, en seront-ils renforcés ? Comment l’hyper mathématisation du lien quantique qui efface les représentations influera-t-elle sur le lien social ? Comment évoluera l’exode des mégapoles relancé par le télétravail ? Telles sont quelques-unes des questions qui se posent.
Par ailleurs, alors que le dérèglement climatique fait la une des journaux, l’eau, qui n’est pas une denrée transportable, devient un nouvel enjeu de pouvoir. On le constate avec « la diagonale de la soif », qui va de Tanger à Pékin. Mais c’est aussi le cas en France où la distribution de l’eau potable relève du service public mais est privatisée à 60% au nom du principe de l’homo economicus. Ce principe organise l’économie depuis Adam Smith, en passant par Marx, etc.. Or, Elinor Ostrom, qui est la première femme à recevoir le prix Nobel d’économie en 2009, conteste l’idée selon laquelle l’homme rationnel serait l’unique solution aux problèmes économiques qui se posent. Elle délaisse cet universel pour une gestion des biens communs particulière, voire singulière, comme l’atteste le nombre élevé de variables de certains de ses modèles. Le partage des eaux ne résulte plus alors de la guerre pour le pouvoir mais de la construction locale de formations de compromis. En quoi ses nouvelles théories nous enseignent-elles sur l’économie du symptôme ?
D’autres phénomènes concernent les menaces pesant sur la liberté en tant qu’elle est une condition nécessaire du discours analytique. L’état d’urgence provoqué par les périls en tout genre – terroriste, sanitaire ou de cyber sécurité, comme l’affaire Pegasus nous l’a récemment rappelé – font craindre des dérives autoritaires de notre État de droit et le Conseil constitutionnel doit alors se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois votées pour parer à ces périls.
Il y a encore l’arrivée des nouveaux symptômes made in DSM comme le TND qui relance la bataille de l’autisme. En France, une bureaucratie sanitaire sans rétrocontrôle menace les pratiques d’écoute et de parole. Ces vingt dernières années, plusieurs tentatives d’assassinats manquées de la psychanalyse en attestent. Et last but not least, le discours courant impose toujours plus de ségrégation : intersectionnel, racisé, souchien, etc. sont autant de signifiants portés par l’esprit woke dont la tyrannie rejette la poésie, exacerbe le culte des petites différences et menace la liberté d’expression. Les dérives de la Cancel Culture ont gagné l’université, et la dictature des minorités n’épargne pas le débat sur les trans.
La responsabilité du citoyen et, au-delà, du psychanalyste – qui doit faire exister le discours analytique – est bien souvent engagée dans ces questions. Comment interpréter ces symptômes ? Pour répondre, nous prendrons appui, d’une part sur le concept de discours de Lacan à partir du Séminaire XVII et, d’autre part, sur celui de société liquide avancé par Jacques-Alain Miller à son Cours, en 2015. En prenant appui sur Zygmunt Bauman, il y évoquait la question d’un « futur liquide », soit d’une extension à l’infini des possibles1Miller J.-A., « En direction de l’adolescence », Interpréter l’enfant, Navarin éditeur, 2015, p. 196.. Nous étudierons l’hypothèse de cette extension dans les différents discours évoqués ici et nous dialoguerons avec des invités, spécialistes de ces questions chaque fois que cela sera possible.