
Deuxième débat autour du livre: Neurologie versus psychanalyse (Navarin éditeur) d‘Hervé Castanet, professeur des universités, psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP (Marseille).
La thèse neurobiologique : l’être humain est un cerveau, le cerveau est une machine à traiter de l’information. Logeant toute causalité dans le cerveau, cette thèse réduit l’être parlant au silence d’un organe. Aujourd’hui hégémonique, cette thèse prétend s’imposer à toute conception humaine et sociale, à la psychanalyse et à tous ceux qui y puisent une orientation, elle légitime la mise sous tutelle administrative des pratiques de la parole, elle postule le tout neuro. À l’endroit de cette idéologie, notre opuscule livre un combat épistémologique, concept contre concept. Car la psychanalyse, elle, fait valoir l’énonciation du sujet : celui-ci dit ce qui cause son tourment, le réel de son symptômdésir, amour et jouissance.
La boussole
« Ceux qui vous font miroiter la synthèse de la psychanalyse et de la biologie vous démontrent que manifestement c’est un leurre, […] absolument rien d’amorcé jusqu’à présent dans ce sens, […] le promettre est déjà une escroquerie. » Jacques Lacan, Les formations de l’inconscient
L’argument
La thèse neuro est hégémonique et fait paradigme pour une certaine clinique. Elle pose définitivement cette équivalence : mental = neuronal. Pour expliquer l’activité mentale et tout ce qu’elle intègre, le désir, les émotions, la conscience de soi, etc., elle promeut un concept ultime : le neuro-réel, comme l’a épinglé J.-A. Miller. Le neuro-réel se livrerait à qui veut l’observer grâce aux méthodes sophistiquées de l’imagerie cérébrale, il se prouverait « visiblement », assure-t-on, à chaque image, à chaque mesure. Il fonctionnerait suivant les principes d’une machine de Turing, une machine extrêmement complexe certes, mais néanmoins une machine. Ce neuro-réel matériel, physique, naturel, objectif, règne en maître dans le discours mainstream et tend à s’imposer à l’opinion publique et au champ scientifique lui-même – celui-ci, dit-on, ayant été trop longtemps tolérant face aux approches de l’Homme et de la Société engluées dans un platonisme qui déconnecte les idées et la pensée de leurs substrats physiques. Le procès de naturalisation généralisée est par conséquent désormais aux commandes. C’est en son nom que la psychanalyse est attaquée et, pour la discréditer, ses principes, qualifiés d’idéalistes, voire de théologiques.
L’introduction
Pourquoi ce livre publié maintenant ? Parce que les neurosciences investissent tous les champs du savoir et veulent promouvoir une soi-disant objectivité méthodique généralisée visant à s’emparer de tout ce qui constitue l’expérience humaine, et ce dès l’enfance. Au nom des neurosciences, on veut réduire au silence la psychanalyse – et avec elle, nombre de sciences de l’Homme et de la Société – en la sortant des lieux d’enseignement, de recherches universitaires et des dispositifs de soins et traitements (hôpitaux, dispensaires, cliniques, etc.) qui s’orientent à partir d’elle. Cet ouvrage répond à cette volonté neuro : il s’agit d’intervenir pour que la psychanalyse ne disparaisse pas au nom du matérialisme scientifique, de la biologie neuronale et de la naturalisation de tout le champ humain. Pour que notre futur ne se réduise pas à une programmation neuroscientifique ayant prétention de régir nos façons de vivre ensemble. Ce livre ouvre le débat en donnant quelques repères. Sa visée est limitée : délinéer le tout neuronal, ce paradigme hégémonique, autant idéologique qu’épistémologique, qui ne cesse de faire valoir et de légitimer, comme réponse à tout, la seule causalité matérielle logée dans un organe, le cerveau. Ce livre n’attaque ni n’infirme les résultats formels actuels de la neurologie, de la biologie, de la neurobiologie ou des vastes neurosciences. Se livrer à de telles attaques n’est pas justifié. Le débat que nous ouvrons mérite mieux. Ce livre, par contre, attaque des usages de ces disciples lorsqu’elles prétendent renvoyer la psychanalyse (et une certaine psychiatrie où la parole a sa place) ainsi que la causalité psychique à la poubelle de la métaphysique et déploient, souvent sans le savoir, une philosophie et une idéologie du vivant réduites au tout neuro.